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Âme  r

L'autre face du miroir - la part amère.

Janvier 1943, les Français s’acheminent lentement vers la fin d’une troisième année d'occupation. La pression exercée par les autorités sur la population est de plus en plus extrême, les privations de biens et de libertés se multiplient sous la direction d'un gouvernement établi à Vichy et complètement soumis aux autorités nazies. Dans ce contexte, les positions des uns et des autres se radicalisent, entre acceptation-collaboration active et indignation-résistance armée, creusant un peu plus chaque jour pour les français, un fossé entre deux visions de l'avenir que tout oppose. Pris dans cette tourmente, Louis, troisième fils d’une famille de modestes agriculteurs de Haute-Savoie, peu bavard mais débrouillard, très à l’écoute de ses ressentis les plus intimes, va devoir orienter sa vie et se confronter aux choix terribles de l’époque.

 

Son chemin ne sera pas celui de tous et ne sera pas celui de la Résistance, mais ce chemin de traverse, ce chemin oublié, ce chemin sombre existera bel et bien et constituera lui aussi une face de l'Histoire du département qu'il convient de connaître.

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Synopsis

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                      Âme   r     
Quelques lignes...

 

 

1.

Le ciel de ce matin[1] est du bleu de l’intensité que seuls les paysages d’altitudes peuvent offrir et, comme depuis plusieurs jours, la chaleur est déjà étouffante, presque oppressante. Rien de bien anormal en cette fin de mois d’août mais cette petite période de canicule, si elle se prolonge, aura forcément des effets sur la qualité du foin.

Nous sommes arrivés par camion tout à l’heure depuis le centre du village et j’attends que l’on appelle mon nom, comme tous mes camarades, assis dans une herbe épaisse tout juste débarrassée de sa rosée matinale. Trois frères que je connais sont là aussi[2] qui s’étreignent prestement. Le plus jeune a encore seize ans, son cadet dix-sept comme moi. Ils font partie du groupe de cinq qui précèdera le mien. Tous les chefs, que j’ai tellement admirés, sont déjà passés. Je suffoque et je sue à grosses gouttes mais ce n’est pas à cause de la chaleur. Un coup de tonnerre claque qui me fait sursauter et, c’est nous qui sommes appelés.

Si on s’arrête un peu sur ce qui nous entoure, le paysage matinal qui propose au regard une alternance de sommets escarpés, d’aiguilles rocheuses aux teintes gris-blanc et de croupes moins élevées recouvertes d’une herbe que l’on devine grasse, est grandiose, presque surnaturel. Je les connais bien ces pointes et ces montagnes car je les ai parcourues maintes et maintes fois aux temps bénis des montées en alpages, des cueillettes de champignons, du ramassage des myrtilles avec ma mère ou encore de la chasse au chamois avec mon père et mes deux frères et, plus rarement, pour le simple plaisir de la varappe et de l’évasion.

Au-dessus de nos têtes trône, tel un pacha débonnaire, le majestueux Lachat, aux pentes herbeuses si prisées l’été par les troupeaux de laitières aux yeux cernés de tâches marron[3]. Plus loin, on distingue très nettement les pics de la chaine des Aravis, aux rochers si saillants qu’on pourrait les croire découpés au rasoir et qui dominent vertigineusement le col de la Colombière. Dans quelques courtes semaines s’organisera la démontagnée[4] mais cette année je ne serai pas là pour y assister.          

Je contemple le paysage sans le voir. Une tension acide me tord le ventre qui m’oblige à respirer par saccade. Bras ballants, je prends place devant les troncs d’épicéa spécialement installés pour nous. J’ai gardé mon béret et ne me hasarde même pas à l’enlever. Je n’ose plus lever les yeux et fixe intensément les quelques mètres d’herbe juste devant moi.

J’ai obéi et fais du mieux que je pouvais. Chaque nouveau jour je me suis attaché à être l’homme que tout le monde autour de moi m’a demandé d’être. Aujourd’hui je vais devoir partir sans avoir compris ma faute.

 

 

[1] 24 août 1944 au matin (entre 8h et 10h15)

[2] N.d.a : Référence à Joseph, André et Léon Lacroix, trois frères, âgés respectivement de 19, 17 et 16 ans. (Tombes numéro 50,51 et 52)

[3] N.d.a : Caractéristique de la robe des vaches de la race d’Abondance, bovin haut-savoyard rustique et adapté aux pentes abruptes, à l’origine du lait permettant, entre autres, la fabrication du reblochon.

[4] N.d.a : Terme régional, pouvant varier d’une vallée à l’autre, qui désigne la descente des troupeaux de la montagne vers la fin de l’été quand l’herbe n’est plus suffisamment abondante en alpages.

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